Thomas Fersen



Tandis que Johnny Hallyday lui a usurpé la mention "disque de l'année" aux Victoires de la musique en France et continue de faire des ravages inexplicables jusqu'ici, un nombre grandissant de Québécois reconnaissent Thomas Fersen jusqu'à en faire un des leurs.
Pourtant, même s'il n'a pas propulsé son auteur vers un record de ventes, l'album 4 constitue rien de moins que la quintessence de ce dont Fersen est capable, en plus de clore de belle façon une tétralogie animalière. Mais on a beau se délecter de la cohérence et des surprises qui parsèment son parcours discographique, chaque nouvelle parution nous donne envie de le revoir en spectacle. Depuis la sortie de l'album, il a déjà rendu visite à la majeure partie de la francophonie européenne, s'offrant au passage quelques jours d'Olympia, et c'est un an plus tard qu'il vient nous rendre compte de l'évolution de son personnage de scène.
S'il se fait toujours aussi discret en entrevue, Fersen affirme se sentir beaucoup plus à l'aise qu'à ses débuts devant un public. Dans ses derniers spectacles, l'accent légèrement plus grand sur la mise en scène allait de pair avec un raffinement de son attitude qui a, selon lui, donné naissance à un véritable personnage. "Quelque chose s'est dessiné petit à petit, confie-t-il, une espèce de personnage scénique qui est un type un peu cruel, ignorant, bêta, vaniteux, individualiste. C'est à lui que les choses que j'interprète sur scène arrivent, et plus ça va, plus je le maîtrise. C'est à ce personnage que les gens se sont attachés au fil des années, alors que j'essaie de les faire rire, d'être cocasse." Le temps et la régularité de la production de Fersen aidant, il semble que la période des comparaisons s'achève. Finis les renvois impressionnistes à Brel et Ferré, inutiles même les rapprochements plus pertinents avec Brassens et Gainsbourg: "Ça ressurgit de temps en temps, mais petit à petit ça s'en va puisque les gens me connaissent un peu plus. Mais ce n'est jamais désagréable d'être comparé à de telles personnes !"
Quant à cette intrigante mise en scène, pour laquelle une résidence a été effectuée en février à Macon, il préférerait nettement qu'on nous en laisse la surprise : "Elle est assez pittoresque, assez simple. J'ai tenu à ce qu'on emmène le décor. Mais je ne sais pas s'il faut en parler, on risque de trop en dévoiler... On peut par contre parler de l'instrumentation: violon, mandoline, accordéon, basse électrique, orgue, clavecin, yukulele. Pour certaines voix, bien sûr, on a redistribué le tout, par exemple les cuivres qui sont remplacés par l'accordéon." Le défi n'est d'ailleurs pas mince de présenter en spectacle la presque entièreté du dernier disque, ce qui sera facilité par la polyvalence de ses quatre musiciens. Quelques incontournables des précédents albums seront aussi au programme, mais il faudra attendre le mois de mai pour entendre de nouvelles pièces. Après une année parsemée de spectacles, il faut maintenant s'attendre au traditionnel disque enregistré en public, une opération délicate en ce qui concerne un artiste davantage intime que spectaculaire. Et en attendant que germe le noyau d'une autre série d'albums originaux, le chanteur se concentre actuellement sur son statut de compositeur en travaillant sur la musique d'un film. Toutefois, ainsi qu'il en a averti les producteurs, pas question de faire autre chose que de l'instrumental, à moins qu'un des comédiens ne prenne le micro. Compte tenu de sa prédilection pour des trames comme celles de Tom Waits et de Goran Bregovic (Le Temps des gitans, Underground) et son talent pour les subtiles peintures de moeurs, la chose ne peut être que de bon augure, même si tout ça devait se dérouler sans paroles.
Reste à voir ce que deviendra le Fersen des prochaines années: "J'aimerais faire quelque chose impliquant d'autres corps de métier. Pas nécessairement théâtral mais avec une espèce de folie, de désordre apparent, avec plusieurs disciplines. Tout est très écrit dans ce que je fais, et après, on a de la latitude pour le désordre. On ne peut pas être désordonné quand on n'a pas travaillé avant. C'est quelque chose de séduisant, le désordre, mais ça se prépare, ça ne se fait pas sur du vide, il faut qu'il y ait déjà des structures, une église, une police. C'est ce que disait Fellini: "Sans pape, je ne ferais pas de films." Ça fait un peu réactionnaire de dire ça, mais il faut constater que c'est toujours comme ça qu'on a fonctionné en art." ?


Fiche signalétique

- Né en France en 1963 de parents d'origine roumaine: mère infirmière, père employé de banque.
- Nom véritable destiné à devenir progressivement inconnu.
- Élevé avec ses soeurs aînées, apprend la guitare jazz à 15 ans.
- Service militaire, puis études en électronique.
- Influencé par le punk anglais, débute musicalement en 1979-80 avec le groupe UU, puis Figure of Fun (nom inspiré par un titre de l'album Prayers on Fire du Birthday Party, premier groupe de Nick Cave).
- Boulots divers, notamment dans l'électronique et dans l'armée.
- Voyages en Amérique latine et en Scandinavie, où il écrit plusieurs chansons et se rebaptise de son nom d'artiste actuel, une conjonction de Thomas Boyd, footballeur mexicain, et d'un amant de Marie-Antoinette !
- Confectionne deux 45 tours destinés à passer inaperçus en 88 et 90, puis se lance vers quelques années de piano-bar où il continue de forger sa voix légèrement graveleuse.
- Son premier album, Le Bal des oiseaux, paraît en 1993 après plus de 10 ans d'errance. Enregistré dans un vieux cinéma, ce disque prépare ses premiers passages aux FrancoFolies (éditions française et québécoise) et lui donne une Victoire de la musique comme révélation masculine de l'année.
- Cesse de fumer.
- Les Ronds de carotte (1995) est enregistré au Danemark et en France, enjolivé des photographies de Jean-Baptiste Modino, qui demeurera de la partie pour les deux albums suivants.
- Le Jour du poisson (1997), marque l'arrivée du cheval Bucéphale et de l'arrangeur Joseph Racaille dans son monde.
- L'album 4, en 1999, est le nouvel épisode de cette série de disques au propos assez homogène, qui peut être lue comme une série d'études de caractères parsemée de fables animalières ou comme une chronique de la France populaire. Initialement prévue comme un périple en quatre épisodes recouvrant les quatre éléments, cette oeuvre arbore comme jalons les figures de l'oiseau, du lapin, du poisson et du cheval.

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