Thomas Fersen amoureux du jeu et de l'instant
Au fond du café, sur une banquette située sous un miroir
aux dorures imposantes, une maigre silhouette se découpe. Il est
là, discutant avec bonne humeur de son dernier album. Vêtu
d'un "pull" à col roulé et d'un blouson de cuir, Thomas
Fersen semble directement issu d'un quartier ouvrier de Liverpool. Mais
l'homme est bien parisien, et il possède les chansons pour le prouver.
Calme et sympatique, le chanteur semble amusé par la ronde
des journalistes qui passent à sa table depuis près d'une
heure. Pourtant, il assure sa tournée de promotion depuis huit heures
du matin et, malgré tout, il sourit. Il faut dire que Thomas Fersen
respire la patience. Bien sûr, cette journée pleine d'entrevues
et d'interminables présentations l'éreinte un peu, mais il
en faut beaucoup plus pour atteindre "un moucheron [qui] tourne en rond
sur le plafond".
Écriture tout-terrain
"Cet album, dit-il, je l'ai écrit en partie sur une table
de camping que mes parents m'ont prêtée". Étrange,
non? Est-ce à dire que l'auteur s'incarne comme un écrivain
sédentaire, voire même pantouflard? Pas du tout! "Souvent,
pour écrire, je transporte l'univers nécessaire avec moi.
Je n'ai pas de véritable discipline d'écriture. J'écris
dans un café, dans un train ou chez moi le matin après avoir
ingurgité ma dose de caféine. Ça, je dois avouer que
c'est un moment privilégié, mais il n'y a pas de grand cérémonial,
de la concentration certainement, mais pas d'habitudes. En revanche, lorsque
je sens un moment propice à l'écriture, je ne le laisse
pas passer. Peu importe où je me trouve lance-t-il avec empressement,
comme pour éviter qu'on l'accuse de procrastination.
Néanmoins, Thomas Fersen avoue: "Quand je travaille beaucoup
et que ça marche bien, alors j'ai tendance à la paresse.
Je me dis, finalement c'est facile! Maintenant, par habitude, je vais jusqu'au
bout, même au bout du bout, pour exploiter tous mes moments d'inspiration
".
Pour son quatrième album, sobrement intitulé "4", Fersen
s'est permis davantage d'expérimentations et d'audace. Plus actuel,
ce nouvel enregistrement jouit d'une diversité de sonorités
que l'on ne retrouvait pas sur ses productions précédentes,
soit Le bal des oiseaux (1993), Les ronds de carottes (1995) et Le jour
du poisson (1997).
"L'album est plus intemporel que les autres, alors par définition
plus moderne", affirme le poète qui voulait réaliser un disque
durable, qui ne s'édulcorerait pas au fil des saisons.
Bestiaire et quotidienneté
Toujours, les chansons de Thomas Fersen abordent le quotidien. Elles
parlent de tout et de rien, de l'amour et des choses que souvent on ne
remarque pas. Elles se présentent comme de petites histoires simples,
comme des bribes d'une vie saisies ici et là, au coin d'une rue,
dans un café ou au bureau de poste. Si de temps à autre,
des pièces comme "Monsieur" ou "Chez-toi", offrent un peu plus d'ombre
et de sensualité qu'à l'habitude, il ne laisse pas pour autant
tomber ses "amis les animaux". "En fait, ce ne sont pas des animaux,
ce sont des caractères, et donc, mes chansons ne sont des
fables. C'est la forme qui tient de la fable, mais je ne lis pas de fables
à la maison" explique Thomas Fersen, dont l'image est indissociable
de la gent animale. Pourtant, on l'aurait juré!
S'il n'est pas un disciple de LaFontaine, Thomas Fersen s'amuse néanmoins
avec une ménagerie considérable. Sur dix titres, trois incluent
le nom d'une bestiole, que ce soit un lion, une chauve-souris ou
même un moucheron. Qui plus est, Mondino, le photographe qui
s'occupe des pochettes de l'artiste, semble aimer alimenter ce paradigme.
"Ce n'est pasmoi qui lui dis: mets un lapin sur mon épaule, un poisson
dansla poche de mon veston ou, pour le dernier album, un enroulé
dans un rideau", se défend Thomas Fersen, visiblement déridé.
D'ailleurs, la première photo lorsqu'on ouvre la pochette [un cheval
drapé de blanc] devait se retrouver sur le dessus de l'album, mais
j'ai préféré cette autre photo, de moi, avec un étui
à banjo sur le visage. Ça rappellait le cheval, sans le montrer
nécessairement et on me laisse tranquille".
Et pour les spectacles? Peut-être en septembre prochain, sinon
en février 2001 Très confus, Thomas Fersen ne peut rien promettre,
puisque ça ne dépend pas uniquement de lui. Quant aux
projets futurs, le chanteur reste énigmatique: "Je ne vais pas grossir
la troupe des gens qui se croient capables d'écrire un livre ou
de réaliser un film. Ce sont des choses dont on parle quand on les
a faites, pas avant car je ne pourrais rien en dire Seulement m'en vanter".
Amoureux de photo (il traînait d'ailleurs avec lui un petit
appareil russe, le "Lomo", avec lequel il tire le portrait des gens qu'il
rencontre), de la grâce et de l'esprit, Thomas Fersen -bien qu'il
rappelle quelquefois le jeune Gainsbourg ou, plus souvent, l'impétueux
Jacques Brel- demeure l'un des auteurs-compositeurs les plus intelligents
de la chanson française.
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