Les fables de Fersen



Une Photo de Thomas Fersen


Quatre forte pour un quatrième album - la discographie de Fersen a peu lassé nos éloges jusqu'ici. Petit inventaire en forme de bestiaire, suite : il y eut un Bal des oiseaux (1993) avec moineau, des ronds de carotte (1995) avec lapin, un Jour du poisson (1997) avec arêtes... Cette fois, sur la pochette, le visage du chanteur est masqué par l'étui d'un banjo-ukulélé, intéressant croisement du règne musical.Le règne animal reprends ses aises à l'intérieur de l'élégant livret : un cheval s'y frotte aux ailes des avions du Bourget.
Le bestiaire du fabuliste Fersen s'augmente avec cet opus d'un lion, d'une chauve-souris (amoureuse d'un parapluie), d'au moins deux moucherons. Sans compter mouche, mule ou bique en qui l'homme fourbe est prêt, jure-t'il, à se changer pour convaincre de sa bonne fois la dubitative aimée... Mais Fersen ne se contente pas d'enrichire ses variations métempsycho-poétiques. Il campe, à traits fins et sûrs, des profils fuyants : personnages incertains de vivre, pas d'aimer (une Irène, une Elisabeth), tendre loser (Dugenou), sérial killer (Monsieur). Il innove avec un égal bonheur dans une veine libertine avec le coquin menuet de Chez toi, le trio troublant de La Chandelle.
Ce renouvellement de thèmes s'accompagne d'un renouveau musical. Joseph Racaille (aux arrangements de cuivres et de cordes) et Matthieu Ballet (aux programmations) conjuguent l'ancien et l'audace; mélancolie napolitaine, tsiganerie ciselée, valse au coeur battant voient s'épouser orgue Hammond et  Wurlitzer, clavecin et ondes Martenot, glockenspiel et vibraphone... Subtile étrangeté, à la fois savante et doucement sauvage. C'est pour cela sans doute qu'on aime tant Fersen, qui semble toujours familier et sans cesse surprend.

Paquotte Anne-Marie
Télérama 2599
3 Novembre 1999