Fersen en trois temps



La vie de tournée rend l'homme pareil à l'oiseau migrateur. Adaptant son vol aux paysages, aux vents, aux compagnons de voyages, l'animal, sur le chemin de l'exil, fait le plein d'images fantastiques. C'est ce décor défilant qu'a voulu capturer l'auteur-compositeur-interprète français Thomas Fersen sur Triplex, un album live triple à climats variables.


Le concept — et le titre — ne sont pas sans rappeler le phénoménal Tricycle de Bélanger, mais s'y distinguent tout de même. Sur Triplex, Fersen propose d'abord et avant tout des ambiances. En ouverture, celle de l'Européen, petite salle intime de la capitale française, où il s'est exécuté en 1998 avec pour seul accompagnement le piano. Ensuite, celle, en mai 2001, du Cabaret de Montréal, un endroit que le chansonnier aime pour sa chaleur. Et finalement, en juin de la même année, celle de la Cigale, un vaste lieu néanmoins accueillant.

« Il y a longtemps, admet Fersen, que je voulais faire un live. Il en avait déjà été question après la sortie de mon deuxième album, mais j'avais déjà le troisième sous le coude. Puis, il y a eu le quatrième. Ce n'est pas avant ce dernier, que j'ai pu me pencher plus sérieusement sur la question. En prévision, nous avions préalablement enregistré le spectacle de l'Européen entre le 3e et le 4e album », raconte l'artiste dans son style fabuleux.

Pour Fersen, donc, pas d'ordre chronologique. Les trois étages du Triplex comportent indifféremment des titres de ses quatre albums.

« Je voulais montrer différents aspects de la tournée, par exemple quand je suis au Québec ou en France. Comme j'aime beaucoup le Cabaret de Montréal, j'ai demandé à ma maison de disques de m'y organiser des concerts pour qu'on puisse les enregistrer... »

Le résultat est particulièrement étonnant. D'un CD à l'autre, on passe successivement d'une atmosphère feutrée, à une réaction spontanée, voire remplie d'humour, à un effet de masse où le clapping est à l'honneur.

Chaque salle, explique Fersen, est un environnement à apprivoiser, chaque public, l'inconnu total. « Dès les premières minutes, on sent tout de suite la foule. On essaie d'être attentif, d'être généreux... », révèle le chanteur.

Entre 1998 et 2001, une nette évolution marque les rapports entre Fersen et ses auditoires. L'humour, parcimonieux au départ, se fait omniprésent dans ses dernières représentations. Un type de discours qui sied bien à ses ritournelles animalières... « Ce côté-là est apparu petit à petit, confirme-t-il. À force de faire des concerts, j'ai adapté l'écriture pour jouer avec ça. Maintenant, je pense aussi au geste, au jeu, et à la manière de le développer. Je pense que ça se sent beaucoup sur les disques. Plus ça a été, plus j'ai adapté l'écriture à mon personnage. »

Car voyez-vous, ce Thomas cynique et tortueux, en même temps que naïf et timide qui ne peut que vous voler un sourire lorsqu'il tournoie comme un papillon sur scène, n'est pas tout à fait le même qui signe ses textes savoureux. « Ce personnage, il est un peu moi et pas tout à fait moi. Celui qui vous parle est beaucoup plus cynique encore ! » a lancé un Fersen particulièrement en esprit.

Ce personnage sans nom, c'est aussi l'intermédiaire par lequel Fersen peut se réapproprier ses chansons, qui sont autrement figées sur disque.

« Quand on est sur scène on réinvesti la chanson. On met un costume. On oublie tout ce que l'on a appris. Et il y a le public, qui nous influence énormément dans notre interprétation. En studio, ça nous manque beaucoup. Même quand on fait la balance de son, ça nous manque... », laisse-t-il entendre.

Dans les petites salles, la proximité s'avère toutefois déshabillante. Chaque regard transperce. Dans les grandes, l'étendue est transportante. Comme la vague. « Ça demeure un plaisir de changer. Sinon, on s'habitue... Quand on tourne dans les Zénith en France, au bout d'un moment, c'est toujours la même chose. C'est pour ça que le spectacle n'a pas de séquence fixe. Il faut changer tous les soirs. »

Les visites au Québec sont une autre bonne occasion de détourner les chansons... Le Cabaret de Montréal est l'un de ces lieux où Thomas Fersen aime jouer au funambule. C'est pourquoi il a décidé d'extraire de Triplex le disque de cette performance pour le lancer simultanément en simple sous le nom de Live au Cabaret de Montréal. « Ce qui est extraordinaire, c'est qu'on y entend la réponse des gens, on entend les voix. La Cigale est tellement vaste qu'on y perd les gens. Mais d'entendre, c'est fabuleux. Soudainement, les gens font partie de la partition... »

Adepte du punk

À voir l'attention que l'auteur-compositeur-interprète porte aux mots, aux images, aux effets de langue dans ses textes, à écouter ses musiques légères et enivrantes, à constater l'approche poétique de la scène, il est difficile de croire que l'homme de 38 ans a déjà fait de la musique... punk ! « J'avais 14 ans en 1977. Les gens de notre génération achetaient cette musique-là. Mais vers 18-19 ans, ça s'est arrêté. Les copains se sont dispersés. J'ai complètement arrêté la musique et n'y suis revenu que plus tard. Et j'avais changé. On change tous ! À cette époque, j'étais dans l'urgence, j'avais besoin de ce genre de chose. Je crois toujours avoir ce côté désobéissant et sautillant. Je n'ai jamais fait cette musique pour refaire le monde, mais parce que je la trouvait gaie et énergique. De toute façon, les interprétations qu'il y a de ce mouvement sont très variées. Disons que je n'ai pas vécu ça comme une revendication. C'était tout simplement de ma génération. On jouait mal et vite ! »

Avec ses fables, bien au-dessus de l'actualité, Thomas Fersen donne parfois l'impression d'habiter une bulle qui le rende complètement imperméable à ce qui se passe autour de lui. Les apparences sont toutefois trompeuses. L'artiste se dit très préoccupé par les événements des derniers mois. « Je suis un inquiet. Et il se passe des choses étranges ces derniers temps... C'est brutal. Mon rôle à moi, comme artiste, ce n'est pas de faire oublier aux gens — mon personnage a plus de problèmes ! —, ce serait plutôt d'aider à prendre les choses du bon côté. Je n'écris jamais directement sur l'actualité. Il y a toujours un décalage. C'est un parti pris. »

Cela dit, notre oiseau migrateur s'avoue un peu fatigué de filer sans halte de ville en ville depuis plusieurs années. Quelques spectacles encore dans sa France natale et il s'accordera un repos bien mérité. À moins que...

« J'ai déjà de nouvelles chansons qui sont prêtes. La tournée finit dans 15 jours... Quand viendra le prochain disque ? Je ne sais pas... Qui sait ? J'écrirais peut-être pour quelqu'un d'autre... J'ai envie de faire ça. Mais il faudrait que je me déclare d'abord. »

Cette possible interprète — parce qu'il s'agit d'une femme — a visiblement séduit Fersen. « C'est une comédienne qui n'a jamais fait de chansons... » fait-il simplement savoir.

Fort bien. Mais de quoi d'autre sera faite votre hiatus, cher Thomas ? « D'un petit moment avec la famille... Mais il faut d'abord passer de l'intensité humaine de la tournée au calme de la maison », soutient-il.

Fin museau, rusé, espiègle, Thomas Fersen est souvent présenté comme un timide. L'auteur-compositeur-interprète ne cache même pas ce travers... « C'est vrai. Mais je pense que je suis moins timide au Québec ! Les Québécois sont plus chaleureux... »

Voilà qui est rassurant ! Fersen prendra d'ailleurs sous peu sa dose obligatoire de « chaleur québécoise »... en plein froid hivernal ! « J'ai plusieurs amis au Québec et j'ai envie de passer le Jour de l'an avec eux. Je vais venir avec mon casse de poils ! »

Lavoie Kathleen
Cyberpresse
8 Décembre 2001