Le jour du poisson



La pochette du Bal des oiseaux (le premier album de Fersen, en 1993), signée Doisneau, portait au revers un moineau. Pour celle des Ronds de carottes (1995), Mondino avait posé un lapin sur l'épaule du chanteur. Il orne, cette fois, sa pochette d'un poisson. L'homme selon Fersen est un drôle d'oiseau, un rongeur de rêves, un poisson hors de l'eau&endash;ou noyé d'eau de vie: "Ma douceur", sur fond de jazz feutré, est une des plus réjouissantes chroniques de gueules de bois que l'on puisse ouïr... Mais tout ce Jour est réjouissant, vif, inventif. Quel bonheur d'écriture! Grâce au bestiaire métaphorique, l'amour même redevient une aventure poétique. Que l'on est bête embarque sur son arche ours et gazelle, gorille et belette. "Les Papillons" donnent leurs couleurs aux songes et mensonges d'une vie... L'homme selon Fersen mise, le jour, ses rêves sur un cheval, et la nuit, sur la course d'une main aimée, main-araignée.

Imaginaire allé dansant sur des volcans. Le chagrin n'est jamais loin, qui parfois se met à nu. Mais Fersen le défie d'un clin d'oeil. Et sa musique fait la nique aussi aux jours poisseux. Saluons ici la rigueur et la vigueur de l'équipe: au premier chef Joseph Racaille, arrangeur dérangé, éclectique orchestrateur. Avec lui (et le groupe Bratsch, pour "Où trouver des fleurs un lundi soir après minuit?"), les écailles multiplient leurs éclats. Ambiances klezmer, mambos, tangos, valses manouches, country, ballades... Didier Lockwood est venu, et Richard Galliano, et un quator à cordes, et tout un orchestre. Chaudes couleurs, soles sensuelles, tournoiements enivrants... La voix rieuse et râpeuse mène le bal. L'homme Fersen est un poisson volant, un poisson-chat, un poisson-chant.

Paquotte Anne-Marie
Télérama
  1997